La culpabilité chez les proches d’une personne incarcérée
J'ai animé deux conférences chez Relais-Famille.
C'est un organisme qui vient en aide aux proches de personnes incarcérées.
Voici les coordonnées de cet organisme : relaisfamille.org
Les gens viennent en moment de crise ou quand ils découvrent l’organisme plus tard. Certains parrainent d’autres. C’est un lieu précieux où des intervenants attentionnés aident les gens à se sentir mieux. Pour moi c’est toujours très touchant d’animer dans cet organisme. Cela m'a beaucoup ému d'entendre les proches de personnes incarcérées. Leur authenticité, leur humilité et leur humanité m’ont beaucoup impressionné.
J’ai été touché par leur impuissance, leur culpabilité mais surtout l'intensité de leur besoin de s'exprimer. D'être entendues dans ce qu'ils vivent régulièrement comme malaise en lien avec leur proche. Un besoin fort de s’exprimer très souvent de façon responsable. C’est vraiment un groupe très attachant pour moi.
Ce sont des situations peu communes et très inconfortables qu’ils vivent. Par exemple, ce n’est pas rien pour un grand-père ou une grand-mère de 80 ans de voir son petit-fils ou son fils en prison derrière une vitre.
Le support des proches devient nécessaire pour ne pas rester pris dans sa culpabilité, à se rendre responsable du comportement criminel de leur enfant ou de leur frère ou de leur soeur ou d’un parent. Cette épreuve peut même rapprocher une famille.
Quand un adulte reste seule et cache son projet de violer une nièce mineure. Qu'il reste seul sans en parler. Puis, pris d'une impulsion soudaine passe à l'acte et se retrouve en prison. Pour cette personne, l’isolement avec ses projets criminels, l’amène à l'incarcération.
C’est triste de voir qu’elle perd complètement son discernement. C’est une personne qui cultive dans son imaginaire un ou des gestes illégaux. Elle n'a alors pas le reflet des autres que cela ne se fait pas ou qu'elle risque de se retrouver en prison ou de faire du mal de façon importante. Cette partie malveillante de son monde intérieur, qu’elle ne partage à personne, risque de la faire déraper vers l'illégalité. Ses proches ne peuvent souvent rien faire puisque ce n'est pas visible. Ils ne pouvaient voir ce qui se tramait dans les pensées de la personne incarcérée.
De même si un jeune fugue et cultive l'élan de faire des gestes illégaux avec sa gang de rue ou d'autres fugueurs, ses parents n'ont pas la responsabilité de ce qui se crée chez leur enfant au contact des malfaiteurs.
C’est avec eux qu’il crée de nouveaux gestes illégaux et surtout une façon de voir l’impact de ses gestes sur les personnes heurtées en banalisant la souffrance des personnes qu’il agresse ou avec le temps à ne s’y arrêtant même pas. Ne voyant que les plaisirs immédiats procurés par ses gestes et le sentiment de se sentir plus reconnu et plus appartenir à sa gang. Ce n’est pas rien d’être coupé ainsi de sa sensibilité et de son empathie envers les autres. D’utiliser des gens pour ses plaisirs sans tenir compte de leur souffrance. C’est malheureusement cette culture de gang qui endurcit le jeune à se défendre de son empathie.
Un autre exemple : un de mes enfants respecte tout comme moi les feux rouges, mais mon autre enfant pas du tout. L’enfant développe une tendance à avoir du plaisir à transgresser les règles. Quand il se fait prendre cela n’aura pas suffisamment d’impact pour l’arrêter de chercher de nouveau ce type de plaisir.
Voici la définition d’une gang de rue selon la SPVM.
Un gang de rue, c'est un regroupement plus ou moins structuré d’adolescents et de jeunes adultes qui privilégient la force de l’intimidation du groupe et la violence pour accomplir des actes criminels dans le but d’obtenir pouvoir et reconnaissance, et/ou de contrôler des sphères d’activités lucratives (taxage, trafic de stupéfiants, prostitution, etc.).
Les dirigeants des gangs de rue font miroiter une vie facile aux jeunes qui voudraient les joindre : argent et belles filles à profusion, contrôle et pouvoir sur un secteur géographique. Cependant, la grande majorité des membres qui ont décidé de quitter un gang parlent davantage de la spirale de violence dans laquelle ils étaient pris, dont ils ne voyaient pas l'ampleur au départ, et qui les a poussés à réaliser des actes répréhensibles.
Cela m’émeut d’écrire ce qui suit. C'est toute une démarche et un long processus chez le proche d'une personne incarcérée d’alléger sa culpabilité, son hyper-responsabilité face aux gestes illégaux commis par son enfant, frère ou parent. Apprendre avec le temps, à partir de sa souffrance à trop se responsabiliser, à graduellement prendre sa juste part.
Cela peut être l’occasion d'améliorer sa connaissance de soi et à développer de nouvelles ressources pour être mieux en relation en général. Par exemple, pour un homme cela peut être de légitimer sa colère vécue quand une partie de son entourage le culpabilise face à ce que son enfant soit incarcéré. Sa colère l’aide à ne pas se laisser envahir par la culpabilité. Et il en est fier. Cette personne accepte davantage cette ressource de colère afin de repousser les jugements des autres à son égard.
Pour un parent qui a un enfant en détention, la culpabilité peut prendre la forme de l’autopunition. Par exemple, s’empêcher de prendre des vacances quand c’est raisonnable. Ne pas s’exprimer par honte, s’isoler, se punir en n’allant pas voir ses amies, ses parents, en restant isoler.
S’empêcher de faire des choses simples qui feraient du bien comme de lire, d’écouter des séries comiques, de faire du sports, d’aller danser, d’avoir beaucoup de plaisir. S’empêcher de parler de ses malaises pour ne pas déranger ou par peur d’être jugé ou d’être vu comme fatiguant ou lourd pour les autres. Cela me rend triste de voir comment une personne peut ainsi se faire du mal.
La personne peut aussi s’auto-punir en restant seul dans un état d’obsession pris dans des scénarios culpabilisants. Ressasser de fausses causes de la délinquance de son enfant en prenant tout sur son dos. Condamner sa façon d’avoir éduqué ou encadré ou pas encadré son enfant. Cela me fait mal de voir ce parent se faire autant du mal. C’est triste !
Je suis aussi très empathique à ce que cela puisse faire très mal d'être loin d'un proche incarcéré. Une souffrance qui se vit souvent au quotidien qui parfois peut être accueillie et d’autre fois moins où la personne peut alors s'en défendre en se culpabilisant.
La solitude peut être longue et souffrante à porter. Lors d'une réunion d'enfants à l'école, un parent peut se sentir seul à voir les autres parents partager ouvertement leurs difficultés. De peur d'être jugé, à risquer réellement d'être étiqueté d'une image négative comme parent (indigne, qui n'a pas su bien éduqué son enfant…) à risquer réellement d'être mis à l'écart, le parent ne partagera pas ses difficultés par rapport à son enfant incarcéré durant ces réunions. Alors il se sentira seul à comparer ses difficultés plus importantes et plus souffrantes que celles des autres parents. C’est triste mais cela accentuera son sentiment de solitude à se sentir à part des autres parents.
De même au travail ou avec des amis, d'entendre parler les autres de leurs difficultés avec leurs proches pourra créer se sentiment de solitude pour une personne avec un enfant ou un proche incarcéré.
Pour une personne qui a de la difficulté à vivre de l’attachement dans ses relations dans sa vie et qui s’isole, ses choix pourront l’amener à poser des gestes asociaux, pas acceptables … sans qu’il en voit d’avance l’impact négatif. Sans qu’il s’imagine qu’il va faire mal aux autres. En fait, l’amour et la reconnaissance de ses proches ne créent pas grand chose en lui, pas suffisamment pour qu’il tienne réellement compte des autres. C’est vraiment triste que l’attachement et la considération pour l’autre ne se crée pas en lui ! Il risque de garder malheureusement ses fausses impressions et ses fausses perceptions que la vie ne pourra pas toujours corriger et qui l’amèneront à poser, par moments, des gestes illégaux.
Cela me touche beaucoup d'écrire cette page. Touché par la beauté des gens que j'ai rencontré dans cet organisme, touché par leur souffrance et aussi très touché par leur force de vie pour crier leur impuissance et leur besoin intense d'être écoutés et pas jugés.
Merci